Shou

On ne choisit pas les parents que l’on a. Et ça, Shou en avait payé les frais dès tout petit.

En effet, c’était un enfant illégitime. Et il avait toujours été haï de tous, et ce depuis sa naissance. Certains enfants sont orphelins et souffrent de ne pas avoir de parents. Lui, il regrettait presque de ne pas avoir été abandonné à sa naissance. Tout aurait été mieux que ce qu’il avait vécu. S’il avait été adopté, alors peut-être aurait-il pu avoir la chance de recevoir de l’amour. Et rien n’aurait été pareil…

Il n’avait jamais connu son père, et pour cause. Sa « mère » s’était fait violer. Ayant peur des réactions de son entourage si elle l’avouait et de se voir considérée comme déshonorée et souillée, elle avait préféré le garder secret. Et quand elle s’était rendue compte qu’elle était enceinte, malheureusement, il était trop tard. Et Shou était né.

De ce fait, il avait toujours été haï, délaissé, négligé, par sa soit disant mère comme par toute sa famille, puisqu’il n’aurait jamais dû naître. Dès tout petit, livré à lui-même, il avait donc dû apprendre à se débrouiller seul, ne pouvant compter sur personne dans son entourage. Un peu plus tard, sa génitrice avait rencontré quelqu’un qui était devenu son beau-père. Mais il n’échappa pas à la règle et le détesta tout autant. Le pauvre garçon ne comptait même plus le nombre de fois où il avait été frappé et insulté sans raison valable. Sa seule erreur avait été de venir au monde. A l’époque, il était bien trop faible et ne faisait pas le poids pour réagir.

Allant sur ses 14 ans, en plein dans l’adolescence, il eut de plus en plus de mal à accepter qu’on le traite avec autant d’injustice. Peu importe comment il se comportait, cela ne convenait jamais et il était toujours traité comme un moins que rien. Alors à l'heure ou tous les bons petits enfants retournaient en souriant chez eux après une dure journée d'école pour savourer le goûter préparé par leur mère pleine d'amour pour eux, lui fuyait son foyer. Il restait dehors à traîner, et les seules personnes de son âge à traîner dehors après les cours n'étaient pas les gens les plus fréquentables qui soient. C'était pour la plupart de pauvres gosses perdus comme lui. C'était à partir de là qu’il avait commencé à basculer, quittant définitivement sa maison à l’âge de 16 ans, pour ne plus jamais y retourner.

Au début, il se promenait de gang en gang, vivant de sales petits boulots qu’on lui donnait. Elevé dans la violence et la haine, il était tout sauf un jeune homme doux et pacifiste. Son caractère de leader en avait fait tout naturellement le chef d’un petit clan de délinquants qui arpentaient les bas quartiers en quête de quelque action frauduleuse à accomplir. Il avait fini par se faire recruter par une famille de Yakuzas opérant sur Tokyo principalement, les Inagawa-Kai. C’est enfin là qu’il eut réellement l’impression d’appartenir  à une famille. Suivant les différents rites d’intégration pour appartenir à la pègre, il intégra l’un des nombreux clans composant cette confédération et évolua un moment à leurs côtés.

Rapidement, il fut attiré par le monde de l’immobilier, un des domaines dans lequel son clan avait la main mise. Il se relança dans quelques formations annexes – il n’avait jamais été mauvais à l’école et avait su rester un élève plutôt sérieux malgré sa vie chaotique – et se plongea dans ce monde, gravissant les échelons au fil des années. Gardant cependant un pied dans le monde de la mafia, ce qui était très utile pour régler quelques affaires, il était à présent à la tête de diverses boites d’immobilier qui marchaient plutôt bien, et son caractère naturel de leader en faisait quelqu’un de respecté et apprécié.

Néanmoins, Shou n’était pas exactement celui que l’on pouvait voir lors des réunions de personnel et de PDG, ce patron sérieux et appliqué, souriant, aimable et compréhensif, qui s'était adoucit au fil des années et savait être diplomate. Dans sa vie intime, il en était tout autrement, et il avait gardé son tempérament impétueux. De temps en temps il s’affichait au bras d’une jolie demoiselle – il ne voulait éveiller nul soupçon quant à son orientation, entretenant cette image de patron modèle – mais c’était presque avec dégoût qu’il couchait avec elles de temps en temps. De toute manière, elles ne restaient jamais très longtemps à ses côtés, s’enfuyant à grandes enjambées quand elles se rendaient compte de sa vraie nature.

Le jeune homme était en effet particulièrement sadique. Au lit notamment, il laissait sa vraie nature reprendre le dessus et son instinct bestial se révéler. Mais rares étaient les filles qui acceptaient ce genre de pratique et surtout l’appréciaient. C’était sans doute pour cette raison que ses goûts s’étaient tout naturellement portés vers les hommes depuis très tôt, plus résistants et moins douillets que les petites poupées qui passaient entre ses griffes et qu’il terrorisait pour qu’elles gardent le silence.

Fatigué de devoir prendre toutes sortes de précautions lorsqu’il rencontrait des hommes pour satisfaire ses pulsions, il finit par se tourner vers un lieu qui faisait parler de lui, un des rares bordels de Kabukicho à ne pas être tombé sous la direction d’un quelconque clan de yakuzas, le Velvet Lust. Au moins, là-bas il pourrait trouver des hommes à profusion et peut-être même tomber sur la perle rare qui accepterait de satisfaire le moindre de ses désirs et se soumettre totalement à lui.

Shou a deux facettes. Celle qu’il montre habituellement, dans son entourage professionnel et social, un homme sûr de lui, travailleur, mais aussi gentil et charmant, et celle qu’il réserve à ceux qui le connaissent intimement, beaucoup plus sombre et inquiétante, que seule une poignée de personnes connaissent.
Il n’a jamais aimé personne, comme personne ne l’a jamais aimé – du moins pas à ce qu’il sache – les éventuelles intéressées disparaissant bien vite lorsqu’elles se rendent compte de son caractère dans la vie privée. Son cœur est comme hermétiquement fermé au moindre sentiment suite à la carapace qu’il s’est formée tout au long de son parcours atypique. Néanmoins, il rêve secrètement d’avoir un partenaire régulier qui l’apprécierait pour ce qu’il est et saurait le satisfaire pleinement.